"Haiti on the brink: assessment of American policy towards a country in crisis"
Testimony presented before
The Foreign Affairs Committee of the United States House of Representatives,
Western Hemisphere, Emergency Preparedness and Trade Subcommittee
Daniel P. Erikson
Managing Director, Blue Star Strategies
Principal Investigator, Penn Biden Center for Diplomacy and Global Engagement
December 10, 2019
I begin my testimony by thanking President Sires and the members of this distinguished committee for the opportunity to present to you today on the current situation in Haiti - and to offer some ideas on what needs to be done to respond to the emergency. It is an honor to be here. I look forward to hearing from the committee and my fellow panelists and participating in the ensuing discussion.
I am testifying today as an individual. The views and opinions expressed are mine, based on my more than two decades of experience on Latin American and Caribbean issues, including a longstanding engagement with Haiti which has included more than a dozen travel to the country, most recently in November 2019. Among the other institutions with which I am affiliated, I would also like to thank the think-tank Inter-American Dialogue, where I worked on Haiti for many years and whose leadership encouraged my new investigation into the political and economic situation in Haiti.
My testimony today will focus on two areas: (1) an examination of the current situation in Haiti; and (2) what a forward-looking and constructive response from the United States and the international community as a whole should look like in 2020.
Introduction
Haiti is today experiencing its deepest political, economic and social crisis in a generation. This is not a statement to be overlooked, given that Haiti, a country that is the second oldest republic in the Americas after the United States, is used to crises. Indeed, in the decades following the end of the Duvalier dictatorship in 1986 and the first free elections in 1990, Haiti has experienced many violations of constitutional law, seen by leaders ousted by military force or civil unrest, and has been twice ruled by unelected interim civilian governments. In addition, the country has experienced devastating earthquakes, hurricanes and floods.
However, if the Haitian people remain polarized and divided on many levels - on one question, there is a national consensus: Haiti has never experienced anything like this. Under the administration of current President Jovenel Moise, the political system collapsed at all levels. The almost eighteen months of recurring protests and blockage days - which began the day after fuel prices rose at the wrong time in July 2018 and most recently peaked in the twelve-week protests from September to November 2019 - have devastated the country's already dilapidated economy. This situation, known as “Peyi Lòk” in Creole, could result in complete cessation of activities. This is a situation in which schools, courts, businesses and public services practically stop and economic activity stops. Now combine that with massive protests, violent clashes between police and protesters, virtually uncontrolled corruption, a furious battle between government and private interests over state resources and private contracts, a growing threat from gangs in Port-au-Prince and in the countryside, and a generalized environment of impunity. Haiti's political and economic system has been affected before - and severely affected - by both human-made and natural disasters. But never before has the country's policy been so fractured, its economic networks short-circuited,
Comment la crise haïtienne est-elle devenue si grave ? Je dirais que la détérioration dramatique des 18 derniers mois résulte de trois crises qui se chevauchent. La première crise, bien connue des membres de ce comité, est la lutte qui a duré des décennies pour qu'Haïti atteigne un niveau de gouvernance basique ou minimum, y inclut le respect des normes démocratiques et de l'État de droit, un degré raisonnable de développement social et de stabilité, et une voie durable vers la croissance économique. La deuxième crise résulte des décisions calamiteuses prises sous le président Jovenel Moise, qui a pris ses fonctions le 7 février 2017, et des conséquences qui s’en sont suivies. Il s'agit notamment de l'incapacité à construire ou à maintenir des alliances politiques, un conflit partisan violent entre le président et le parlement, une mauvaise gestion économique, une cascade croissante de scandales de corruption et un recours excessif à la force contre les manifestants, pour n'en nommer que quelques-uns. Plusieurs rapports importants axés sur l'utilisation abusive des fonds PetroCaribe par des membres des gouvernements actuels et passés ont galvanisé le ressentiment des citoyens et créé un cri de ralliement avec une résonance sociale profonde. Le Président et ses opposants politiques les plus acharnés ont exacerbé la polarisation et bloqué ou sapé les tentatives de dialogue, conduisant à l'effondrement de l'administration publique en Haïti. Depuis mars, le pays n'a pas de Premier ministre ratifié pour définir la politique et diriger le gouvernement. L'ensemble de la Chambre des députés (la chambre basse du Parlement) et les deux tiers du Sénat (la chambre haute) devraient cesser son mandat en janvier 2020 sans nouvelle élection à l'horizon. Ainsi, l'ordre constitutionnel sera à nouveau rompu. Le président gouvernera par décret – très probablement en l'absence d'un accord politique qui conférerait à ses décrets une plus grande légitimité. Pour les États-Unis, cela compliquera sans aucun doute davantage les efforts en termes d’aide étrangère et l'engagement diplomatique avec un pays qui figure déjà parmi les moins libres des Amériques.
Ce qui rend le moment présent en Haïti si extraordinaire – et alarmant – c'est que les crises historiques et aiguës du pays ont aujourd’hui convergé avec une telle force que les fondements sociaux et économiques du pays, longtemps soumis à pression, ont été profondément ébranlés. De plus, ce moment critique est apparu dans le contexte d’une troisième crise : une crise d’apathie et d’indifférence parmi les alliés et partenaires internationaux d’Haïti. Bien qu’il existe des signaux récents que la profondeur de l'agonie d'Haïti commence à briser cette apathie, le niveau de mobilisation requis par de nombreux gouvernements et institutions qui ont historiquement pris la responsabilité d'aider les Haïtiens et leurs gouvernements pendant les périodes de désespoir antérieures était encore loin d'être atteint. C'est cette “crise d'apathie” qu’il me semble que le comité est légitime pour aborder.
La Politique Fracturée d'Haïti
L'histoire d'Haïti est trop riche et profonde pour couvrir entièrement la portée de ce témoignage. Cependant, une chose qui ressort clairement d'un examen des 205 années d'indépendance du pays est que la crise actuelle en Haïti se produit sur une base historique de faibles institutions, de normes démocratiques peu développées, de niveaux élevés de mainmise sur de l'État et d'un environnement extérieur largement inhospitalier. Certains aspects de la situation actuelle font écho à des évènements historiques, tels que la création d'Haïti en tant que premier État noir libre au monde en 1804, ou l'occupation militaire américaine d'Haïti de 1915 à 1934, ou les dictatures pendant la guerre froide de « Papa Doc » et « Baby Doc » de 1957 à 1986, qui se sont terminés par un gouvernement militaire de transition et une nouvelle constitution en 1987 qui régit encore Haïti à ce jour. En 1990, la transition d'Haïti vers la démocratie a conduit à une crise historique de gouvernance du pays, lorsque l'élection du Président Jean-Bertrand Aristide a été suivie de son éviction lors d'un coup d'État militaire en 1991. Haïti a ensuite passé trois ans sous régime militaire de 1991 à 1994, jusqu'à ce que le président Aristide soit rétabli par le biais d'une mission internationale des Nations Unies dirigée par les États-Unis, mais avec son mandat abrogé par de nouvelles élections en 1995. Son successeur, René Préval, a été élu président de 1995 à 2000. Aristide a été élu président à nouveau en 2000, mais n'a effectué que trois ans de son second mandat présidentiel, de 2001 à 2004, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau évincé du pouvoir après avoir été confronté à une rébellion armée au pays et aux pressions internationales, y compris américaines, pour écourter son mandat. À la suite de cette perturbation du régime démocratique, les Nations Unies sont intervenues pour mettre en place la force internationale de maintien de la paix des Nations Unies connue sous le nom de MINUSTAH. Haïti a été dirigé par intérim par le Premier ministre Gerard Latortue de 2004 à 2006, avant que de nouvelles élections ne ramènent le président René Préval au pouvoir de 2006 à 2011. En 2010, Haïti a été frappé par un tremblement de terre dévastateur qui a détruit une grande partie de la capitale de Port-au-Prince, causant la mort de plus de 200 000 personnes et provoquant l'une des pires catastrophes naturelles de l'histoire moderne. Néanmoins, Préval a conclu son mandat comme prévu et a été remplacé par Michel Martelly, qui a gouverné le pays jusqu'en février 2016.
Malheureusement, la transition de Martelly à l'actuel président d'Haïti, Jovenel Moise, a été loin d'être sans heurts – et a en effet conduit Haïti à ne pas avoir de gouvernement élu pendant plus d’une année. Pour résumer brièvement, l'élection présidentielle initiale pour remplacer Martelly a eu lieu le 15 octobre 2015, mais aurait été marquée par une fraude et un truquage des voix généralisés. Aucun des deux principaux candidats – Jovenel Moise ou Jude Celestin – n'a obtenu la majorité absolue nécessaire pour éviter un second tour, mais le second tour requis a été reporté à plusieurs reprises en raison d'un manque d'accord et de craintes de violence. Pendant ce temps, Martelly a quitté ses fonctions en février 2016 sans successeur élu, inaugurant une période d'un an ou Haïti a été gouvernée par un président par intérim, Jocelerme Privert. En juin 2016, les résultats de l'élection présidentielle du premier tour d'octobre 2015 ont été annulés, et la date des nouvelles élections – essentiellement une reprise des résultats des élections précédentes – était prévue pour le 20 novembre 2016, moins d'un an après le premier scrutin présidentiel. Dans le cadre de nouvelles élections, Jovenel Moise a obtenu une majorité remporté absolue face à Jude Celestin, avec 55% des suffrages exprimés, et a prêté serment le 7 février 2017. Le point important ici est que, plus d'un quart de siècle après qu’Haïti connaisse la première élection présidentielle libre en 1990, la crise historique de la gouvernance en Haïti était bien présente bien avant le début du mandat du président Moise. Y compris pendant une période de relative stabilité, une impasse politique a empêché la transition démocratique et en douceur du pouvoir à la fin du mandat du président sortant Martelly en 2016. La persistance de la crise historique de gouvernance d'Haïti a ensuite fusionné avec la crise politique aiguë qui s'est déroulée les deux dernières années.
Lorsque le président Jovenel Moise a pris ses fonctions en février 2017, cela a marqué le retour à l'ordre constitutionnel pour la première fois en douze mois. Moise, un proche allié de l'ancien président Martelly et membre du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), est entré en fonction avec une expérience politique limitée et sans majorité absolue à la Chambre des députés ou au Sénat, bien que son parti détienne la pluralité dans les deux chambres. Ce défi politique structurel a marqué Moise dès le début, car le système politique haïtien est composé d’un président élu qui doit ensuite nommer un Premier ministre, sous réserve de l’approbation du Parlement, pour diriger le gouvernement. Bien que chaque président haïtien ait eu du mal à trouver cet équilibre – et de nombreux premiers ministres sont entrés au Palais national dans l'espoir de diriger le gouvernement uniquement pour se retrouver principalement déployés comme amortisseurs politiques et boucs émissaires – le bilan de Moise auprès des premiers ministres a été particulièrement abyssal. Depuis 2017, quatre premiers ministres se sont succédés : le Dr Jack Guy LaFontant (mars 2017 - septembre 2018), Jean-Henry Céant (septembre 2018 - mars 2019), Jean-Michel Lapin (qui gouverné à titre intérimaire depuis mars 2019) et Fritz-William Michel (ratifié par la chambre des députés en septembre 2019 mais toujours pas ratifié par le Sénat). Le premier a dû démissionner suite aux manifestations généralisées de l’été 2018 en contestation aux politiques économiques de Moise, le 2ème a reçu un vote de censure des alliés du président au parlement en mars 2019, tandis que les deux derniers n'ont jamais été confirmés par le Parlement. Jean-Michel Lapin continue ainsi à exercer le rôle de Premier Ministre à titre provisoire, ce qui limite grandement sa capacité à engager l’exécutif de façon légitime. En gros, cela signifie qu'Haïti n'a pas de gouvernement pleinement opérationnel depuis mars 2019.
De plus, la crise de légitimité politique est sur le point de s'accélérer de façon spectaculaire, car l'impasse politique en cours a empêché la tenue de nouvelles élections au Parlement qui étaient prévues en octobre 2019. Cela signifie que la totalité de la Chambre des députés et entre un tiers et deux tiers du Sénat (un chiffre en litige étant donné qu'un tiers du Sénat a déjà vu son mandat prolongé en raison de retards électoraux antérieurs) cessera d'exercer ses fonctions le 13 janvier 2020. À cette date, Haïti disposera d'un Président élu mais très vulnérable, ne disposera ni de Premier ministre, ni de Parlement opérationnel qui pourrait potentiellement confirmer un candidat ou voter des lois, et aucun plan pour des élections à un horizon prévisible. Par conséquent, alors que le niveau de troubles sociaux en Haïti a diminué ces dernières semaines et que certains signes de normalité ont commencé à réapparaitre, ce sentiment de calme ne pourra durer. Comme le fait remarquer Georges Fauriol, associé principal du SCRS, dans son article “La prochaine crise d'Haïti,” publié le 6 décembre, “Une pause temporaire dans les manifestations nationales ne fournit aucune preuve que l'architecture de base de la crise politique a été modifiée… Cela signifie des troubles et un réel danger de transition vers une crise politico-humanitaire à part entière - en fait, les caractéristiques sont déjà présentes.”
L'économie en Chute Libre
La politique bloquée d'Haïti fait couler une économie qui lutte même en temps normal pour rester à flot. Haïti est depuis longtemps la nation la plus pauvre de l'hémisphère occidental, classée 168ème sur 189 pays dans l’Indice de développement humain (IDH) 2018, diffusé par le Programme des Nations Unies pour le Développement. Selon la Banque mondiale, son PIB par habitant n'est que de 870 dollars. Sur une population de près de 11 millions d'habitants, 6 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont 2,5 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté extrême de 1,23 dollar par jour. Au cours des deux dernières années, la gourde haïtienne (la monnaie locale) a perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar américain, diminuant encore le pouvoir d'achat de l’haïtien moyen. Aucune de ces statistiques n'est en passe de s'améliorer en 2020. A l'issue des dernières consultations économiques réalisées entre le gouvernement haïtien et le Fonds monétaire international (FMI), qui ont eu lieu la semaine du 25 novembre, le chef de l'équipe du FMI a publié une déclaration selon laquelle “la crise politique, économique et sociale à laquelle Haïti est confrontée est sans précèdent,” et a ajouté: “En conséquence des blocages répétés dans le pays. . . la croissance de l'exercice 2019 devrait être négative, à environ – 1,2%, tandis que l'inflation est passée à plus de 20% fin septembre. Cela a aggravé la pauvreté et l'insécurité et privé le gouvernement des moyens de réaliser des investissements productifs et de soutenir l'activité.” Même les projections économiques les plus optimistes d'Haïti pour 2020 dépassent à peine 1% de croissance, ce qui est inférieur au taux de croissance démographique et impliquerait donc une croissance nulle ou une croissance négative l'année prochaine.
Par ailleurs, le mois dernier, le Programme alimentaire mondial a déclaré que l'insécurité alimentaire dans les zones rurales d'Haïti avait augmenté de 15% en 2019 en raison de perturbations de la production agricole, avec plus d'un tiers de la population – soit 3,7 millions de personnes – nécessitant une assistance urgente pour faire aux besoins quotidiens d’alimentation. De ce groupe, un million étaient estimés être confrontés à une urgence alimentaire (qui est le niveau de la phase 4 selon la classification de la phase de sécurité alimentaire intégrée ou IPC). On estime que ce nombre pourrait augmenter de 10% pour atteindre 4 millions d'ici mars 2020.
Outre les problèmes de sécurité alimentaire, les Haïtiens continuent de faire face à d'importantes pénuries de biens de consommation de base, notamment de carburant, d'eau et de médicaments vitaux. Au plus fort de la “fermeture du pays” à l'automne, la plupart des services publics ont cessé – y compris, surtout, les écoles – ce qui signifie que pendant deux mois, près de 2 millions d'écoliers haïtiens n'ont pas suivi les cours, ce qui, pour beaucoup d'entre eux, signifiait également un défaut d’accès aux programmes d'alimentation scolaire. Le secteur énergétique haïtien est également particulièrement préoccupant. Ces dernières semaines, le gouvernement haïtien a unilatéralement suspendu tout paiements auprès d’un fournisseur privé d'électricité. Les quartiers qui consommaient auparavant 8 heures d'électricité par jour ne disposent désormais que de 3 à 5 heures. La confrontation a plongé Port-au-Prince dans de nouvelles heures sombres tout en augmentant les coûts pour les entreprises qui produisent leur propre énergie via des génératrices.
Entre-temps, le gouvernement est intervenu dans le fonctionnement de l'Agence nationale de statistique (IHSI, ou Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique), qui avait été l'une des rares institutions haïtiennes respectées pour son honnêteté et son absence d'ingérence politique. En conséquence, le pays est entré dans une “période de black-out statistique.” Cela signifie que la profondeur de la crise économique – qui s'est sûrement aggravée au cours des 12 dernières semaines de grèves nationales - n'est pas connue actuellement. Le dernier taux d'inflation annuel a été publié en août 2019. Les données officielles du gouvernement haïtien sur l'activité économique trimestrielle et la croissance annuelle du PIB ne sont pas actuellement publiées. À moins que les autorités reviennent rapidement sur leur décision, cette situation mettra davantage en péril la coopération avec les institutions financières internationales telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement, qui ont besoin de données officielles comme références pour les futurs accords. En juin, par exemple, le Fonds monétaire international a suspendu un prêt de 229 millions de dollars sur trois ans à Haïti qu’il avait proposé en mars, en raison de l’incertitude économique du pays.
En effet, des organisations régionales comme la Banque interaméricaine de développement ont développé une expertise approfondie en Haïti et ont joué un rôle important dans des secteurs comme l'agriculture, les infrastructures et à travers des projets tels que le parc industriel de Caracol dans le nord-est d'Haïti, qui a créé 14 000 emplois, dont 60% détenu par des femmes. Un travail important est également réalisé par la Fondation interaméricaine, qui cible les communautés les plus marginalisées et mal desservies d'Haïti, en soutenant des projets conçus et dirigés par la communauté, notamment des femmes, des jeunes et d'autres groupes traditionnellement privés de leurs droits.
Les États-Unis restent le plus grand donateur bilatéral en Haïti, mais le montant et le type de soutien ont considérablement changé au cours de la dernière décennie. Selon le Congressional Research Service, la demande pour l'exercice 2020 est de 145,45 millions de dollars. S'il est adopté, ce chiffre représentera une diminution de 21% par rapport aux 184,56 millions de dollars alloués à Haïti au cours de l'exercice 2018. En outre, plus des deux tiers du financement récent pour Haïti sont concentrés dans des programmes de santé mondiale d'une importance cruciale. Mais les fonds de soutien économique et l'aide au développement, qui représentaient plus du tiers de l'aide au début de la décennie quand elle dépassait régulièrement les 300 millions de dollars, ont été considérablement réduits ces dernières années. À la suite de la récente demande du président Moise, l'Agence américaine pour le développement international a accepté de fournir 2000 tonnes d'aide alimentaire, une première étape importante mais toujours une goutte d'eau par rapport aux besoins humanitaires croissants. En novembre, le Naval Ship Comfort américain s'est rendu en Haïti du 6 au 11 novembre. Selon le US Southern Command, au cours de la mission de six jours à Port-au-Prince, plus de 3603 patients ont été traités sur un site médical à terre et 76 interventions chirurgicales ont été effectuées à bord du navire. Ce sont des mesures importantes qui fournissent un soutien vital mais ne peuvent pas remplacer une solution plus globale et systémique.
Droits de l'homme, Sécurité et Migration
Le conflit politique prolongé en Haïti a mis à rude épreuve un système où la protection des droits de l’homme était déjà faible. Selon le rapport 2018 du Département d'État américain sur les droits de l'homme sur Haïti, basé sur des données de 2017, “les questions relatives aux droits de l'homme comprenaient des allégations isolées d'homicides par la police; le recours excessif à la force par la police; des détentions arbitraires; des conditions de détention difficiles et potentiellement mortelles; un système judiciaire soumis à la corruption et à l'influence extérieure; des attaques physiques contre des journalistes; une corruption et une impunité généralisées; et la traite des êtres humains, y compris le travail forcé.” L'année dernière, deux massacres majeurs ont été perpétrés par des gangs armés. Le premier, à La Saline en novembre 2018, a tué au moins 26 personnes selon les Nations unies, tandis que des groupes haïtiens estiment les décès à 71 personnes. Le second, survenu en novembre 2019 dans le quartier de Port-au-Prince à Bel Air, a conduit au décès d’au moins 15 personnes. Plus récemment, Amnesty International a documenté, y compris avec des séquences vidéo, deux problèmes cruciaux dans les efforts du gouvernement pour contrôler les manifestations : l'utilisation de balles réelles et l'utilisation aveugle d'armes moins meurtrières (c.-à-d. des gaz lacrymogènes, canons à eau et balles en caoutchouc). Le 1er novembre 2019, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a rapporté qu’ “au moins 42 personnes sont mortes et 86 ont été blessées alors que les tensions se sont intensifiées depuis le début de la dernière série de manifestations le 15 septembre, selon des informations vérifiées par notre bureau. La grande majorité a été blessée par balle. Les rapports indiquent que les forces de sécurité étaient responsables de 19 des décès tandis que les autres ont été tués par des individus armés ou des auteurs inconnus.”
La détérioration de la situation en matière de sécurité en Haïti intervient au moment où les Nations Unies ont considérablement réduit leur présence en Haïti, passant d’une large mission de maintien de la paix de la MINUSTAH (2004-2017) à une mission réduite d'appui à la justice appelée MINUJUSTH (20017-2019), à un Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). Cela signifie que l'opération de maintien de la paix de 15 ans en Haïti s'est terminée le 15 octobre 2019, alors que les Nations Unies passent à une plus petite empreinte sous le BINUH axée sur la bonne gouvernance et le renforcement du secteur de la justice. La Police nationale haïtienne, qui compte aujourd'hui près de 15 000 personnes, est aujourd'hui une force beaucoup plus développée et professionnalisée qu'il y a dix ans. Cela est dû en grande partie à la formation dispensée par la mission de maintien de la paix des Nations Unies, ainsi qu'à l'aide des États-Unis totalisant 250 millions de dollars depuis 2010. Cependant, la force de police a été ralentie par les récents événements. Les officiers qui ne sont pas formés à la gestion de troubles publics majeurs ont mal évalué le recours à la force et, dans certains cas, ont commis des abus manifestes. De plus, l'augmentation du taux de criminalité et la radicalité croissante des gangs criminels – pas seulement ceux traditionnellement basés dans les bidonvilles de Port-au-Prince – ont conduit à plus d'insécurité dans les campagnes, qui commence à submerger les capacités de la police. Tout au long de l’année 2019, le Département d'État américain a attribué un avertissement de niveau 3 à Haïti (reconsidérer les voyages) ou de niveau 4 (ne pas voyager), reflétant la criminalité et les troubles croissants.
Après la diminution des voyages des citoyens américains, il y a eu l'espoir d'un rebond du secteur des voyages en Haïti. En avril 2013, le Best Western Premier Hôtel est devenu la première chaîne d'hôtels américaine à s'étendre en Haïti depuis de nombreuses années. En octobre 2019, il a fermé définitivement. Delta Airlines, qui fournit un service des États-Unis à Haïti depuis une décennie, cessera tous ses vols à compter du 9 janvier 2020, faute de demande. Pendant ce temps, la principale autoroute du nord au sud d'Haïti reliant Cap-Haïtien à Port-au-Prince est devenue une zone de menaces croissantes, passant de conditions routières et de conducteurs irréguliers à une zone où les activités des gangs ont une présence nouvelle et indésirable. Selon l'étude mondiale des Nations Unies sur l'homicide 2019, qui fonde ses résultats sur les données de 2017, le taux d'homicide d'Haïti de 10 pour 100 000 habitants était bien inférieur à celui des pays du Triangle nord de l'Amérique centrale (El Salvador, Guatemala et Honduras) et, en fait, inférieur à certains pays régionaux comparables, comme la République dominicaine. Mais compte tenu des événements des deux dernières années, il semble très probable que ces chiffres augmenteront au cours de la prochaine itération du rapport.
Il n'est pas surprenant que de plus en plus d'Haïtiens quittent Haïti : traverser la frontière terrestre vers la République dominicaine, lancer des embarcations sur la mer des Caraïbes vers les Bahamas, les îles Turques et Caïques et les États-Unis, ou prendre le premier vol hors de Haïti vers n'importe quel pays qui les accueillera. L'intensification des pressions économiques et sociales crée une vague de migration en provenance d'Haïti dans des proportions substantielles et inexpliquées. Ceci peut être illustré par le flux constant de rapports publics de migrants interceptés en mer. Les garde-côtes ont rendu 86 haïtiens interceptés en novembre dernier, 70 autres en janvier, début février, au moins 28 haïtiens sont morts en mer au large des Bahamas, dont 33 interceptés en avril et un autre bateau avec 50 en mai au large des côtes du Cap-Haïtien. Pendant une semaine en août, la Garde côtière américaine a intercepté 37 Haïtiens à bord d'un cargo au large des îles Turques et Caïques, puis 146 autres, tandis qu'un troisième bateau avec 53 migrants à bord a touché terre sur les îles. Au même moment, la Garde côtière américaine a signalé qu'entre octobre 2018 et août 2019, environ 3414 migrants haïtiens ont été interceptés en mer, contre 2727 tout au long de l'exercice précédent. Notamment, le nombre total de migrants haïtiens trouvés en mer dépasse le total combiné des migrants interceptés de Cuba, de la République dominicaine et d'autres territoires des Caraïbes.
Depuis 2010, les Haïtiens vivant aux États-Unis font partie des dix nations dont les citoyens ont reçu le statut de protection temporaire (TPS), et les quelque 59000 bénéficiaires constituent le troisième groupe en importance de tous les pays après El Salvador et le Honduras. Selon le Center for Migration Studies, le détenteur moyen du TPS haïtien vit aux États-Unis depuis 13 ans et 27000 d'entre eux ont des enfants nés aux États-Unis qui sont citoyens américains. En novembre 2017, l'administration Trump a d'abord cherché à annuler cet avantage pour les Haïtiens d'ici 2018, une décision qui a été bloquée par un tribunal fédéral de Californie, forçant le gouvernement américain à prolonger le programme jusqu'en janvier 2020. Dans un avis du Federal Register du 4 novembre, le Département of Homeland Security a annoncé que les bénéficiaires du TPS d'Haïti (ainsi que de plusieurs autres pays) verront leur désignation prolongée jusqu'au 4 janvier 2021.
Haïti 2020: Le Rôle des États-Unis Dans l'élaboration de l'agenda
Haïti a connu des périodes de forte détérioration auparavant – et dans presque tous les cas, la communauté internationale, menée par les États-Unis, a cherché à répondre de manière robuste et tournée vers l'avenir pour identifier les problèmes fondamentaux, rechercher des solutions pratiques et réduire les souffrances humaines. Tous les engagements n'ont pas été couronnés de succès et certains ont été contre-productifs, mais d'importantes leçons ont été tirées. La première est que si les États-Unis ne s’ont pas en charge, personne d'autre n'interviendra pour prendre notre place. Deuxièmement, les résultats ont été plus fructueux et plus durables lorsque Washington a été rejoint par des partenaires à travers l'hémisphère - du Canada aux Caraïbes et en Amérique du Sud – ainsi que des alliés en Europe et des institutions internationales clés comme l'Organisation des États Américains, les États-Unis. Nations Unies et les banques multilatérales de développement. La troisième leçon est que, si le consensus politique est impossible en Haïti – et ne doit donc pas être considéré comme un objectif – un compromis politique peut être atteint. Mais cela ne peut être réalisé que lorsque la communauté internationale unit ses forces et que les dirigeants politiques haïtiens comprennent à la fois les enjeux et les conséquences.
Cette situation représente aussi des enjeux et des conséquences pour les États-Unis. L'instabilité croissante d'Haïti dans une région qui connaît déjà des troubles généralisés pourrait forcer les États-Unis à entreprendre une intervention plus large qui est encore, à ce stade, évitable. Au cours des derniers mois, les États-Unis ont envoyé des émissaires de plus en plus gradés en Haïti pour appeler au dialogue national et à la bonne gouvernance, notamment l'ambassadeur américain auprès des Nations Unies Kelly Craft et, plus récemment le sous-secrétaire américain aux Affaires politiques, David Hale, qui s'est rendu en Haïti en mars et de nouveau début décembre. L'argument selon lequel les solutions politiques d'Haïti doivent provenir des Haïtiens eux-mêmes et ne peuvent être imposées ou dictées par les États-Unis, est certainement valable. Cependant, rien n'indique que les appels intermittents au dialogue et les espoirs d'une résolution des problèmes dirigée par les Haïtiens aient réussi en 2019 ou sont susceptibles de le faire en 2020. Au lieu de cela, ces efforts doivent être clairement liés à un cadre bilatéral et multilatéral global, dans le cadre duquel une pression diplomatique est exercée sur les dirigeants d'Haïti tout en prenant des mesures pour atténuer la crise humanitaire parmi les Haïtiens innocents dont la vie a été bouleversée. Au cours des dix-huit mois qui ont suivi le début des protestations contre Haïti en juillet 2018, la crise s’est accélérée dans pratiquement toutes les dimensions. Par conséquent, le moment est venu de proposer de nouvelles approches en 2020. Sans changement de cap, la détérioration d'Haïti se poursuivra de manière préjudiciable à la fois au peuple haïtien et à la sécurité nationale des États-Unis et de nos voisins les plus proches dans les Caraïbes.
Dans ce contexte, je voudrais féliciter ce comité pour anticiper cette situation en menant cette audition et d’assumer la tâche cruciale de commencer à réinsérer Haïti comme une question prioritaire à Washington qui nécessitera une attention plus soutenue et plus ciblée. Alors que nous approchons de 2020 – une année qui marquera le 30ème anniversaire des premières élections démocratiques en Haïti et le 10ème anniversaire du tragique tremblement de terre en Haïti qui a fait tant de morts – Haïti doit assumer un rôle plus central dans l'agenda de la politique étrangère des États-Unis. Comme première série d'étapes, je recommande ce qui suit:
- Le Secrétaire d'État Pompeo convoque – dès que possible et au plus tard au premier trimestre de l'année prochaine – une réunion au niveau ministériel du « Core Group » d'Haïti – qui se compose de ses homologues du Brésil, du Canada, de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, l'Union européenne, les Nations Unies et l'Organisation des États américains – dans le but de formuler une stratégie globale à l'égard d'Haïti pour répondre aux besoins humanitaires et de jeter les bases d'une élection réussie au Congrès et aux élections présidentielles sur la période 2020-2021.
- À la suite de la réunion ministérielle, les États-Unis et leurs partenaires du « Core Group » devraient diriger une session sur la stratégie économique et les secours humanitaires en Haïti en marge des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale en avril – y compris les groupes de secours internationaux et les ONG - dans le but d'identifier le moyen augmenter rapidement l'aide alimentaire et le soutien économique dans les communautés les plus durement touchées d'Haïti et éviter la possibilité de malnutrition sévère, voire de famine, qui affecterait jusqu'à 4 millions d'Haïtiens en 2020.
- Un examen complet de l'aide américaine et internationale à Haïti en matière de sécurité, dans le but de renforcer la Police nationale haïtienne – l'un des héritages positifs de plus de 15 ans de présence des Nations Unies au maintien de la paix – et de veiller à ce que les fonds ne soient pas non plus détournés vers l'armée haïtienne ou les appareils paramilitaires qui menacent l'état de droit et les droits de l'homme.
- L'extension du statut de protection temporaire (TPS) pour les Haïtiens aux États-Unis après la date d'expiration actuelle de 2021 et l'examen des possibilités de libération conditionnelle humanitaire pour les Haïtiens nécessiteux ou ceux dont la vie est gravement menacée.
- Enfin, le Congrès américain pourrait établir un groupe de travail bipartite et bicaméral à court terme, dans le cadre de “Haïti 2020.” Le but serait de favoriser un rôle plus actif du Congrès pour que ce dernier puisse suivre les développements, convoquer des experts, s'engager avec ses homologues haïtiens et les membres de la communauté internationale, et faire en sorte qu'Haïti occupe une place prépondérante dans l'agenda de la politique étrangère des États-Unis l'année prochaine dans le but de restaurer pleinement un gouvernement démocratique élu dès que possible et certainement d'ici 2021 au plus tard.
En conclusion, la crise en Haïti est profonde, complexe et ne peut être résolue ni par les Haïtiens seuls, ni par les États-Unis, ni par aucun autre pays ou acteur international. Cependant, je suis convaincu que les membres de ce comité, en collaboration avec l'administration américaine et la communauté internationale dans son ensemble, peuvent faire beaucoup plus pour aider à remettre Haïti sur la voie de la gouvernance démocratique, d'un développement plus équitable et durable et de la paix sociale. Il ne fait aucun doute que cette ambition nécessite un travail colossal. La première étape cruciale sera de redonner à Haïti une place de choix dans l'agenda américain, régional et international.
Merci de votre attention et j'attends vos questions avec impatience.
Bio de l’auteur:
Daniel P. Erikson est directeur général de Blue Star Strategies, LLC, une société de conseil internationale, où il dirige la section de la société en Amérique latine. Il est également chercheur principal au Penn Biden Center for Diplomacy and Global Engagement, un centre de recherche en politique étrangère affilié à l'Université de Pennsylvanie. Il a précédemment été conseiller spécial du vice-président et conseiller principal pour les affaires de l'hémisphère occidental au département d'État américain. En plus de son expérience au sein du gouvernement américain, M. Erikson a précédemment été directeur des programmes des Caraïbes et associé principal pour la politique américaine au think-tank Inter-American Dialogue, qui comprenait des voyages fréquents en Haïti au cours des années 2000. M. Erikson a obtenu sa maîtrise en politique publique de la Harvard Kennedy School of Government et un B.A. en relations internationales de l'Université Brown. Il a été boursier Fulbright au Mexique et est membre du Council on Foreign Relations.
The author acknowledges the research assistance of Willa Lerner and Tamar Ziff in the preparation of this testimony.
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